SUR L’ÉCOUTE GESTALTISTE : COMMENT BIEN ÉCOUTER EN THÉRAPIE
SUR L'ÉCOUTE GESTALTISTE :
COMMENT
BIEN
ÉCOUTER
EN
THÉRAPIE

L’écoute sensible est à la base de la posture d’un gestalt-praticien et d’un gestalt-thérapeute. Elle semble proche de l’écoute rogérienne mais s’en distingue. Elle est empreinte des fondamentaux de la Gestalt : elle se fait en mode ça, elle s’appuie sur la phénoménologie, elle nous invite à exister pleinement dans la relation à l’autre, aux autres.

Une écoute en mode ça

Notre somato-affectif, nos images, nos mouvements internes, notre awareness nous permettent d’être en résonance dans le processus d’accompagnement. L’écoutant vibre au monde de l’accompagné, c’est-à-dire qu’il se laisse toucher, troubler, éprouver par la rencontre.  Il entre en résonnance et non pas en raisonnement.
Le ressenti est le premier savoir que nous avons sur toute situation en cours. Comprendre l’autre, c’est « être pris avec », c’est goûter l’ambiance, l’atmosphère de cette rencontre. L’écoute se fait ainsi avec tout notre être, cœur, corps et âme. Merleau Ponty dit ainsi que « c’est avec le corps que nous avons conscience ».

Une écoute phénoménologique 

L’écoute gestaltiste nous invite à être curieux de l’autre, à mettre entre parenthèse nos présupposés, nos représentations du monde, nos jugements, nos projets ou désirs pour l’autre. L’accent est mis sur ce qui apparait d’instant en instant, dans ce temps partagé.
Jacques Blaize nous invite ainsi à « ne plus savoir » dans la rencontre. La question centrale devient « quelle est notre manière d’être en contact à cet instant ? ».

L’écoute porte certes sur les faits relatés mais surtout sur le vécu, notamment immédiat de la situation. La partition nous intéresse mais la musique et l’interprétation d’aujourd’hui, nous importent encore plus. Le gestaltiste est ainsi centré sur « le comment c’est dit », sur le processus, sur les fluctuations du contact. Le pourquoi et l’analyse viennent en arrière-plan. La rencontre permet ainsi, à l’accompagné, de conscientiser sa manière d’être au monde, ses impasses de contact et sa contribution à les reproduire.

Exister pleinement dans la relation

L’organisme étant indissociable de l’environnement, le gestaltiste est partie prenante de l’expérience de contact. Il est aussi observateur de cette expérience partagée et peut la commenter au service de l’accompagné. La manière dont il est affecté dans sa propre chair est une donnée précieuse pour accéder à la réalité de l’autre. La théorie du champ est son postulat de base. Les neurosciences affectives de ces dernières décennies nous enseignent que l’autre, de cerveau droit à cerveau droit, a l’intuition de ce que nous vivons à son contact. Lui donner explicitement accès à ce qui est vécu dans la rencontre rend son expérience cohérente. En outre, un autre être humain est là, en contact avec lui. 

Ecouter, pour quoi faire ? Pour quelle visée ?

L’écoute sensible et la qualité de la relation permettent à l’accompagné de se sentir suffisamment en sécurité, accueilli et compris pour se déposer et se dévoiler. Écouter vise à rejoindre l’autre, à l’endroit où il est, de sa souffrance entre autres, peut être là où il n’a jamais été rejoint.

Écouter pour accueillir l’autre, pas pour l’extraire de sa situation, pas pour le changer.
Ainsi Arnold Beisser développe sa théorie paradoxale du changement « Le changement apparait lorsque le sujet devient ce qu’il est, non lorsqu’il essaie de devenir ce qu’il n’est pas ».
Rejoindre l’autre sans chercher à le sauver, sans se laisser envahir non plus.
Catherine Deshayes propose un curseur relationnel pour trouver la juste distance, entre deux pôles, accueil et cadre. L’accueil de cette écoute sensible et subtile, de cette considération inconditionnelle, peut se faire du fait d’un cadre délimitant et sécurisant. Le cadre fait de règles explicites rassure et contient par les repères apportés.

Conscience et présence

L’accompagnant gestaltiste a conscience de soi et de l’autre et du processus relationnel en cours. Il est présent à soi et à l’autre pour faire l’expérience de la rencontre et de ses formes particulières.
La posture de l’écoutant gestaltiste est ainsi une posture d’accueil, d’ouverture, de réceptivité, d’engagement mesuré. Son authenticité et son intégrité sont sollicités, les mots pour refléter, partager, pour interagir sont choisis, car comme le disait Camus « mal nommer les choses c’est ajouter aux malheurs du monde ».
Le gestaltiste développe une écoute à la fois passive et active, intentionnelle et sans intention, centrée sur lui et sur l’autre. Il voyage au plus près de l’expérience de l’autre tout en restant conscient de soi comme individu séparé. 

Cette écoute engagée, nécessite de pouvoir tolérer l’incertitude, les doutes, les angoisses et autres éprouvés difficiles. L’écoutant peut se sentir en difficulté et avoir besoin de se défendre, de fuir dans l’intellectualisation, dans les questions, dans les interprétations.
Le travail sur soi reste indispensable pour être disponible à recevoir l’autre. La supervision constituera pour les praticiens un second pilier incontournable tout au long de leur carrière.

En conclusion : 
Présentifier notre être au monde

La Gestalt nous invite à présentifier notre être-au-monde, à quitter le faire pour vivre l’essentiel ensemble : être là, avec l’autre quoiqu’il arrive, dans ce moment de rencontre, pour permettre au processus de se dérouler, pour traverser ensemble, pour se tenir dans l’intime. Malgré les possibles tempêtes, doutes, angoisses, le gestaltiste reste là, plus ou moins tranquille, avec la foi que quelque chose adviendra. Des moments de grâce peuvent advenir nourrissant autant l’accompagné que l’écoutant.

L’accompagné par une écoute sensible gestaltiste peut ainsi faire des expériences novatrices profondément restauratives. L’accompagnant est là pour lui permettre de se rencontrer à l’occasion de ce moment singulier, l’accompagnant est là pour qu’il se sente exister sous son regard.  L’accompagnant est là pour le contenir, pour participer à sa régulation affective en l’apaisant ou en le stimulant, pour soutenir sa mentalisation en l’aidant à nommer ses sensations, affects, pensées, il est là pour l’aider à mettre du sens sur ses expériences.
Il est aussi celui qui donne accès, de manière transparente, à ce qu’il vit en la présence de l’accompagné. Peut-être est-il là aussi, pour l’aimer mais cette fois ci, de manière suffisamment ajustée.

Article du 8 Novembre 2023 par : Sophie Fourure (Gestalt-thérapeute, formatrice, superviseure et coach). 

Remerciements

Mes réflexions sur l’écoute sensible pratiquée en Gestalt sont inspirées par quelques confrères que je souhaite remercier : Marie Léon pour son enseignement, Catherine Deshayes pour son ouvrage et Jean-François Gravouil pour avoir su me rejoindre et être là.

Ces réflexions sont aussi issues de ma propre expérience d’accompagnement de deux associations : SOS Amitié depuis 15 ans et plus récemment « les Ecouteurs de rue ».
Merci aussi à mes clients de thérapie qui m’ont confortée dans cette forme d’écoute gestaltiste, sensible, subtile et engagée.

Pour aller plus loin

Beisser Arnold : La théorie paradoxale du changement - 1999 - L’Exprimerie
Deshays Catherine : Trouver la bonne distance avec l’autre grâce au curseur relationnel - 2ème édition 2013 – InterÉdition
Léon Marie : Prendre appui résolument sur l’éprouvé - article paru dans n° 48/49  - Au bord de la rupture – 2016 - Revue SFG

  • Article créé le 06/11/2023
  • Mis à jour le 29/11/2023 à 11h11

À PROPOS DE L'AUTEURE

Portrait de Sophie Fourure

Sophie Fourure

Gestalt-thérapeute, formatrice, superviseure et coach

Gestalt-thérapeute, membre titulaire de la SFG , formatrice et superviseure. Sophie exerce la Gestalt-thérapie en individuel et en groupe. A été formée à l’EPG puis à Champ-G à la Psychothérapie Gestaltiste des Relations d’Objet. Elle s’intéresse à l’apport des neurosciences affectives à la Gestalt-thérapie. Elle est également formatrice et coach gestaltiste dans les organisations.

FORMATION

  • Certification de gestalt-thérapeute / École Parisienne de Gestalt
  • Diplômes complémentaires en sciences humaines : PNL (Maître Praticien certifiée  par l'EPNL), Analyse Transactionnelle (AT101 et AT102), Coaching (Certifiée par le DOJO, Membre de la Société Française de Coaching)

BIBLIOGRAPHIE

ARTICLES


La régulation affective au cœur de la Gestalt-thérapie, Revue Gestalt, 2014/1, n°44, pages 143 à 144

À la frontière-contact du réel, Revue Gestalt, 2006/2, n°31, pages 163 à 178

Awareness et consciousness, Revue Gestalt, 2004/2, n°27, page 12

LIENS EXTERNES