Psychologie comportementale et gestalt-thérapie : points communs et différences
PSYCHOLOGIE COMPORTEMENTALE ET GESTALT-THÉRAPIE :
POINTS
COMMUNS
ET
DIFFÉRENCES

Anne Chaussin, psychologue clinicienne, gestalt-thérapeute et également praticienne en EMDR, nous livre son double regard sur les liens entre psychologie comportementale (courant de la psychologie clinique qui développe des modèles explicatifs des troubles mentaux, au sein duquel l’accent est mis sur la méthodologie expérimentale, en vue de tester des hypothèses concernant l’acquisition et le maintien des troubles) et la gestalt-thérapie (approche humaniste et holistique centrée sur l’interaction constante de l’être humain avec son environnement).

Psychologie comportementale & Gestalt-Thérapie : Quelques repères historiques

La psychologie comportementale s’est développée au début du 20ème siècle en s’appuyant sur l’idée que nos comportements résultent de conditionnements, ce sont des réponses apprises dans des circonstances identifiables.

Elle est à l’origine du développement des thérapies cognitives et comportementales (TCC) qui ont connu trois vagues successives :

  • Une première vague, dite comportementale dans les années 1950 : la psychopathologie résulterait de conditionnements malencontreux et d’apprentissages inadaptés.
  • Une deuxième vague intégrant la dimension cognitive dans les années 1970 : les difficultés psychologiques sont dues à la façon dont nous pensons et percevons les évènements. Il est possible d’apprendre à modifier notre style de pensée et de perception.
  • Une troisième vague, dans les années 1990, incluant les dimensions émotionnelles ainsi que les principes d’acceptation et de pleine conscience. La conscience fine de nos ressentis, émotions et pensées, ainsi que l’acceptation de ceux-ci, sont des moyens de gérer au mieux nos émotions et de reconsidérer nos pensées et représentations.

 

Quant à la gestalt-thérapie, elle voit le jour en 1942 avec l’ouvrage de Fritz Perl, « Le moi, la faim et l’agressivité. Une révision de la théorie de Freud et de sa méthode » : Fritz Perls amorce alors un processus de différenciation avec la psychanalyse en montrant que la saine agressivité est nécessaire à la croissance.

En 1951, l’ouvrage de Perls, Hefferline et Goodman « Gestalt-thérapie, vers une théorie du self : nouveauté, excitation, croissance » assoit les fondements de la Gestalt thérapie.  Le texte promeut l’essentiel de cette nouvelle approche, en premier lieu l’indissociabilité entre l’individu (organisme) et son environnement qui s’influencent mutuellement. Sous l’impulsion de Laura Perls, la Gestalt-thérapie prend une dimension existentielle, expérientielle et expérimentale, et encourage une attention au corps et au mouvement dans la pratique.

À partir de 1980, le développement de la gestalt va suivre des voies diverses : la posture peut être dialogale, phénoménologique, de champ, existentielle, ou associant gestalt et relation d’objet issue de la psychanalyse.

Quelle que soit la voie empruntée, l’indissociabilité organisme/environnement reste centrale. Et le dialogue entre pensées, émotions et sensations est privilégié. 

Quoi de commun entre les deux approches ?

  • L’émotion a une place importante en gestalt, et, comme dans les thérapies d’acceptation qui demandent au client de traverser en conscience les émotions qui l’assaillent, elle soutient la traversée émotionnelle plutôt que la lutte contre les émotions.
  • La « pleine conscience » utilisée en TCC rappelle l’invitation gestaltiste à l’awareness et à ce que F. Perls nommait dès le début « la thérapie de la concentration » (proposant aux clients d’observer leurs sensations, éprouvés, pensées, images, dans l’ici et maintenant de leur vécu).
  • Gestalt-thérapie et TCC prennent toutes deux appui sur l’ici et maintenant et ne recherchent pas de causes issues du passé.

Mais des différences majeures de posture demeurent.

Psychologie comportementale et gestalt-thérapie : Quelles différences ?

Des visions bien différentes de la pathologie :

  • Pour les TCC, c’est l’individu qui est considéré comme souffrant : le patient est porteur de symptômes (tristesse, perte d’envie, autodévalorisation, conviction que la situation ne va pas s’améliorer, angoisse et anxiété, tristesse…). La dépression est considérée comme une impuissance apprise, à laquelle s’ajoute des facteurs cognitifs : la personne a une vision biaisée du monde et d’elle-même.
  • La Gestalt-thérapie va considérer l’expérience globale de la rencontre avec ce patient comme indicateur : « l’expérience dépressive » est l’expression d’un champ relationnel dans lequel se dessine l’impossibilité de rejoindre l’autre, un champ caractérisé par « l’absence de présence » (Gianni Francessetti).

Imaginons maintenant qu’un patient souffrant de dépression consulte un gestalt-thérapeute et un thérapeute comportementaliste.

Que va proposer le thérapeute en TCC (thérapies cognitives et comportementales) ?

  • Il va repérer minutieusement avec le patient les schémas et erreurs cognitives qui organisent sa vision de lui-même et du monde : par exemple, sa tendance à faire des inférences arbitraires : « untel n’a pas répondu à mon texto, c’est que je ne vaux rien » ou à produire des pensées en tout ou rien : « si je n’obtiens pas ce poste, ma vie est fichue »
  • Il va accompagner le patient à reconsidérer ses positions, certes douloureuses mais infondées, il va l’accompagner dans la différenciation entre une tristesse fondée et une tristesse induite par les erreurs cognitives.
  • Il va aider le patient à identifier les perceptions et sensations positives qu’il ignore le plus souvent.
  • Lorsque le patient est confronté à des situations difficiles à vivre, des réalités engendrant de la tristesse et de l’angoisse, le thérapeute l’aide à gérer ces émotions, notamment en l’invitant à les reconnaitre et les accepter plutôt qu’à lutter contre.
  • Eventuellement, le psy en TCC va aider le patient à identifier ce qui dans la situation présente résonne avec des situations passées souffrantes. Le patient pourra alors comprendre que ce qui le fait souffrir n’est pas la situation elle-même mais la signification qu’il lui donne.
  • Il va amener le patient à modifier concrètement son comportement : par exemple, prendre le temps de constater que les conséquences réelles sont moins graves que celles qu’il avait imaginées, se focaliser sur les dimensions positives d’une situation même si elles sont ténues, réactiver le désir de d’agir. 

Et le gestalt-thérapeute ?

  • Quelle que soit la problématique amenée par le patient, le gestalt-thérapeute développe une posture qui privilégie l’être plutôt que le faire. Il observe davantage la manière d’être au monde du patient que ses symptômes et l’accueille sans chercher à le faire changer. Il fait confiance au processus de la rencontre comme vecteur de transformation.
  • Il reste conscient de la manière dont il est impacté par la situation. Il observe son expérience au contact du patient. Cette conscience est garante de la possibilité d’offrir un environnement différent, ni sauveur, ni stimulant, ni source de reproches, mais porteurs de nouveaux ajustements.
  • Lorsque cela devient possible, il soutient les mouvements d’aller-vers, voire de saine agressivité et l’émergence des petites manifestations de l’excitation et du plaisir.
  • Ainsi, il œuvre principalement à rester présent et garder espoir. 

En conclusion

Le thérapeute comportementaliste, se donne un projet, un objectif après avoir identifié un problème à résoudre, alors que le gestalt thérapeute n’a pas de projet pour son client et co-construit avec lui de manière ouverte, en s’efforçant de rester dans une attitude de suspension des représentations, du jugement, des savoirs.

Sur le plan relationnel, les choses sont également différentes. Tous les thérapeutes d’aujourd’hui se posent la question de la relation avec leurs clients mais le gestalt thérapeute le fait de manière très singulière. Son paradigme théorique, posant que l’individu et l’environnement sont interdépendants et indissociables, l’amène à être sans cesse conscient de ce qu’il vit au contact de son client, et à le partager de manière contrôlée. Ce qui se passe au niveau relationnel dans l’ici maintenant de la situation thérapeutique est la matière même du travail qu’il effectue.

Si le thérapeute cognitiviste et comportementaliste s’apparente plutôt à un expert actif et soutenant, le gestalt-thérapeute apparait davantage comme un alter ego engagé avec sa sensibilité. Mais rien n’empêche de consulter l’un puis l’autre ! 

  • Article créé le 18/10/2023
  • Mis à jour le 06/11/2023 à 18h11

À PROPOS DE L'AUTEURE

Portrait de Anne Chaussin

Anne Chaussin

Psychologue clinicienne, gestalt-thérapeute, formatrice, thérapeute EMDR, superviseure

Psychologue clinicienne, Anne a exercé pendant 20 ans dans diverses structures hospitalières et médico-sociales où elle accompagne professionnels et patients dans leur confrontation au vieillissement, à la maladie somatique et au deuil.
Gestalt-thérapeute formée à l’EPG, elle reçoit en libéral des adultes, des adolescents et des enfants aux Lilas, en Seine Saint Denis. Egalement praticienne en EMDR, Anne est sensible à la dimension psychotraumatique dans sa pratique de la psychothérapie. Formatrice à l’EPG en 1er et 3e cycle, Anne est également superviseure, et fait partie du comité de lecture de la revue Gestalt.

FORMATION

  • Certification de gestalt-thérapeute, École Parisienne de Gestalt
  • Thérapie EMDR / Institut français d'EMDR
  • Le toucher / Acorpsdense - Claudia Gaulé
  • L’expérience dépressive / Gianni Francesetti
  • Gestalt thérapie pour enfants et adolescents / École Parisienne de Gestalt - Josiane Obringer, Aude Lavoisier, Chantal Masquelier
  • D.E.A. de psychologie clinique, pathologique et psychanalytique, Paris V
  • D.E.S.S. de psychologie clinique et pathologique, Paris V
  • Maîtrise de psychologie clinique et pathologique, Paris V 

BIBLIOGRAPHIE

ARTICLES

Attentive aux parents, au service de l'enfant, Revue Gestalt, 2023/1, n°60, pages 53 à 65

"La stratégie a-t-elle une place en Gestalt-thérapie?"Revue Gestalt n°57, 2021/2 (n° 57)p. 69 à 84

Psychopathologie et posture gestaltisteCahiers de Gestalt-thérapie, 2018/2 (n° 40), p. 172-187

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