CO-CRÉATION

&

GESTALT

Chantal Masquelier partage quelques étapes historiques de l'évolution de l'approche gestaltiste à travers ses concepts piliers (la saine agressivité, l'indissociabilité organisme-environnement, la théorie du self, l'ajustement créateur) et un changement de paradigme. 

Premiers jalons

Dès le départ, l’aventure de la Gestalt-thérapie émane d’un collectif.
Tout un cercle d’adeptes s’enthousiasme pour ces idées novatrices et une visée transformatrice du monde : « Eh bien, constituons un groupe ! » déclare Paul Goodman dont le talent d’écriture est bienvenu.

Dès les années 48-49, se réunit au domicile des Perls un noyau de fidèles, ultérieurement appelé « Groupe des sept », autour duquel gravite un réseau élargi.
Dans cette assemblée mythique, il importe de citer un des premiers patients de Perls, Isadore From, philosophe féru de phénoménologie. Son apport est incontestable tant par ses talents de clinicien que par son exigence théorique et sa référence constante aux concepts exposés dans le livre fondateur qu’il appelle « la bible » et dont il impose la lecture aux étudiants.
Ce fameux ouvrage se construit lentement à partir de l’hypothèse perlsienne sur la saine agressivité, nécessaire à l’organisme pour aller vers l’environnement. 
Goodman prolonge cette idée en posant le principe de l’indissociabilité organisme/environnement.
Ainsi le deuxième tome est consacré au développement de la théorie du self grâce à la notion d’ajustement créateur à la frontière-contact. 
Un troisième auteur, Ralph Hefferline, professeur à l’université de Columbia, se charge d’inclure des exercices ajustés. Cette participation donne une caution universitaire à cette œuvre tripartite.

Un nouveau conciliabule est nécessaire pour décider la dénomination de cette approche originale. Dans un premier temps, Fritz, fidèle à l’héritage reichien, voulait l’appeler « Thérapie de la concentration » ; Laura préférait « Thérapie existentielle », mais ce qualificatif est abandonné car la référence au scepticisme de Sartre est connotée négativement dans le contexte de l’expansion économique des Etats-Unis. 
De son côté, Hefferline suggérait « Psychothérapie intégrative ». Enfin, le groupe des sept proposait « Thérapie expérientielle ».
Fritz emporte les suffrages en l’appelant « Gestalt-thérapie », par un retour au fondement de la Gestalt-théorie. Les aléas de ce parcours montrent combien la gestation et la naissance de la Gestalt-thérapie ne reviennent pas à un seul leader mais émanent d’une co-construction. 

(Texte inspiré du « Que sais-je ? » La Gestalt-thérapie, Chantal Masquelier-Savatier, 3^ème édition PUF 2023, p. 21-22-23)

Changement de paradigme

L’itinéraire de Laura et Fritz Perls représente une étape décisive dans l’élaboration de la gestalt-thérapie. Leur formation initiale est imprégnée d’une vision intrapsychique, mais, dans un élan novateur, ils fondent les prémices de leur approche, en définissant le contact avec l’environnement comme une composante essentielle du développement.
La conception du contact est dynamique, c’est un aller vers et prendre, mouvement qui part de l’organisme et va vers l’environnement. Par cette première démarcation, Perls, et plus tard Goodman, opte pour une thèse qui rend obsolète le clivage conscient/inconscient et situe le conflit névrotique ailleurs que dans la psyché.

Cependant, le véritable changement de paradigme se produit autour de la rédaction de Gestalt-thérapie. La rencontre avec Goodman et la stimulation intellectuelle du petit groupe d’émules, constitué autour du trio fondateur, permettent à la Gestalt-thérapie de franchir une nouvelle étape. 
Le ton est donné dès la première page : « C’est le contact qui est la réalité première la plus simple. » L’organe des échanges est symbolisé par la notion de frontière-contact. L’ajustement créateur devient un double mouvement permanent dans une vision transformatrice de soi par le monde et du monde par soi.
Ainsi, la première phase de l’élaboration de la Gestalt-thérapie met en relation les données intrapsychiques, fruits de l’histoire individuelle, avec les données environnementales. L’étape ultérieure, avec la théorie du Self, privilégie l’indissociabilité du champ organisme/environnement, donnant au contact une fonction primordiale. De la sorte, la perspective de champ englobe la dimension intrapsychique. Le phénomène actuel inclut à la fois la résultante du passé et la projection dans l’avenir.

Cette histoire de la gestalt-thérapie illustre la complexité des influences qui ont présidé à sa naissance, tels de bonnes fées et d’insolites génies.

Article du 25 septembre 2023 par : Chantal Masquelier-Savatier
(Extrait de Regards croisés sur la psychothérapie, Psychanalyse et Gestalt-thérapie, Edmond Marc et Chantal Masquelier-Savatier, Ed. Enrick B., 2020, p. 42-43)

Découvrez aussi, par la même auteure : 
La Gestalt-Thérapie, Que sais-je? , Éditions PUF, Paris, 2017.
Comprendre et pratiquer la Gestalt-thérapie : une démarche stimulant la créativité de l'être et sa liberté, Editions DUNOD, Paris, Janvier 2023
En collaboration avec Edmond Marc : Regards croisés sur la psychothérapie ; psychanalyse et gestalt-thérapie, Enrick B éditions, Mai 2020.

 

 

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• Article créé le 22/09/2023
• Mis à jour le 02/10/2023 à 12h10